Il y eut d’autres faits, paroles et gestes de ma mère qui me confirmèrent que j’étais d’un sexe indéterminé. Ce fut un peu plus tard, durant mon adolescence. À l’école primaire j’avais une camarade de classe qui était habillée en short, les cheveux coupés très courts. Je la trouvais jolie, surtout qu’il était inhabituel de voir la peau des cuisses d’une fille au quotidien, alors que tous les garçons allaient en short à l’école.
Et l’école ?
Il faut bien que je me mette à en parler ! Ce n’est que souvenirs cauchemardesques. Je m’y ennuyais ferme. Je regardais le ciel par les fenêtres.
À cette époque l’instruction générale des enfants avait comme axe central le français écrit, toutes les autres matières, tels l’histoire, la géographie ou l’arithmétique n’étaient que secondaire voire inexistant au regard du français promu tout en haut de l’édifice. À moins que cette norme ne soit spécifique à l’enseignement des filles ? Étant donné que les garçons étaient enseignés dans des classes séparées, je ne le sus jamais. Je ne nie pas ainsi que le français ne soit pas essentiel pour comprendre toutes les autres matières, mais c’était par les dictées qu’on devait prouver ses connaissances, un peu par les récitations. Ainsi quand une élève comme moi était atteinte de dyslexie elle était considérée soit comme faisant preuve de mauvaise volonté, soit à demi-arriérée. Aucune autre matière n’était prise en considération même si j’étais excellente en analyse grammaticale qui prouvait ma compréhension du texte français, à reconnaitre les verbes, leur temps, les adjectifs, les compléments d’objets, les rapports de chacun entre eux et ainsi un esprit tout à fait apte à exercer une certaine intelligence.
Personne n’avait jamais entendu parler de la dyslexie.
De l’âge de 6 ans à l’âge de 12 ans, du cours préparatoire à la classe de 5ème, toutes mes dictées étaient barrées de grands traits rouges avec annotation négative écrite gros en rouge, pour les autres élèves les notes et appréciations étaient écrites en bleu. Elles étaient toujours truffées de bien plus que les 10 fautes déjà trouvées excessives. Plus tard, à partir de la 3ème, je fus aussi excellente dans l’analyse du sens des textes.
À l’oral je n’étais pas mieux : je bégayais, ne retenant pas les textes à apprendre, qui d’ailleurs m’ennuyaient ; cette autre difficulté à l’oral dénotait que dans ma famille je n’avais pas l’occasion de m’exprimer, que personne ne prêtait attention à ce que j’aurais eu à dire, les trois autres membres de la famille parlaient entre eux abondamment, ne faisant aucune interruption pour me poser des questions sur mes journées par exemple. Ce n’est qu’à partir de la 3ème que je commençais à m’exprimer oralement uniquement avec mes camarades de classe, de plus je montrais une propension à les écouter des heures durant.
J’étais donc une introvertie, mais l’étais-je de naissance ou par la force de l’environnement familial dans lequel j’étais, puisque aucun espace ne m’était laissé pour raconter ma journée, émettre quelqu’avis que ce soit. J’avais de plus l’unique choix de me montrer gaie, inconsciemment je devais savoir que si j’étais triste c’eut été pire encore, et mon orgueil naturel ne me permettait pas de montrer quelque infériorité que ce soit, face aux trois « grandes personnes » qui m’entouraient.
N’étais-je atteinte de dyslexique que dans le cadre de la scolarité ?
à moins que mon défaut n’était que de la dysorthographie ? Plus jeune j’aimais écrire en miroir, soit de droite à gauche et non de gauche à droite. Suis-je une gauchère contrariée ? J’avais d’autres symptômes qui avaient été pris en compte à la gymnastique : mon pied d’appel étant le gauche il fallut me mettre de l’autre côté de la corde sinon je m’emmêlais les jambes et les pieds et je tombais. Ainsi la seule personne qui le prit en compte par la force des choses fut la professeur de gymnastique à partir de la 6ème, et malheureusement ne le communiqua jamais aux autres enseignants. Mais elle fut trop observatrice de mon corps et, alors que j’avais à peine 10 ans, elle me reprocha mon buste plat sans aucun soupçon d’une quelque naissance que ce soit de poitrine et me demanda si j’étais bien nourri, soupçonnant que j’avais un corset, me classant devant toutes les autres filles de « rachitique » !
Étant née en décembre j’étais rentrée en 6ème à l’âge de 9 ans ½, soit beaucoup trop jeune et immature. Âge aussi auquel je fis ma première communion étant la plus petite des communiantes en taille. Mais bientôt je les rattraperai toutes et les dépasserai en taille.
Je faisais aussi du latin dès l’entrée en 6ème, dont un an de redoublement, puis en 5ème. Il est à remarquer que j’ai retenu toute ma vie cette base qui me fut si utile pour la compréhension du français, je m’y référais sans cesse pour tout nouveau mot, ou pour mieux écrire d’après le sens d’origine du mot latin. Donc je n’étais pas si nulle que l’indiquait mes dictées, ou que le jugeaient mes enseignants. Je ne comprendrai jamais pourquoi j’ai été si freinée dans mon évolution scolaire ce qui m’handicapa toute la vie, et induisit pour la vie un certain comportement.