Mon environnement jusqu’à 13 ans

Immeuble et son environnement

Celui-ci est bâti au faîte de la colline, en contre bas un autre groupe d’immeubles rouges, parce qu’en briques, où logent des familles d’un niveau social plus modeste. Un mur au fond de notre terrain le surplombe et nous en sépare. Depuis ma chambre au 6ème étage j’observe les mouvements des gens qui vont et viennent et des enfants qui jouent dans la cour de ces immeubles rouges.

vanves panonama
vanves panonama

Un grand espace découpé en plusieurs parties, de 10 à 15 mètres de profondeur, s’étend tout le long notre immeuble. Tout au fond un ancien tennis réduit à l’état sauvage qui n’a pas l’air d’avoir un jour servi à ce pourquoi il était destiné, cerné par le mur du fond et un bâtiment de chaque côté. Devant cet ex-tennis une allée cimentée réservée aux voitures qui se garent là. Puis viennent deux grandes plates bandes fleuries et bien entretenues où aucun piéton ne marche jamais. Entre ces plates bandes et l’immeuble une allée pavée réservée aux piétons, puis des pelouses au pied de chaque bâtiment. Le long de chaque logement du rez de chaussée des bacs à charge de chaque locataire de l’agrémenter de fleurs et l’entretenir, ils sont souvent laissés à l’état de nature.

premier contact avec la nature et obsession

Je m’assois au sol dans le fond à droite de l’ex-tennis et observe chacune des plantes, qui varient au long des saisons. Personne ne me donnera les noms de ces plantes qui sont presque mon obsession et aucun livre à la maison ne traite de botanique. Je les dépiaute, telles ont des fleurs à certaines saisons, telles autres restent très basses et sont garnis de sortes de vésicules remplies de graines, les verts s’étendent du clair au foncé, d’autres montent plus vites et se font remarquer surtout lorsque des fleurs blanches s’ouvrent en calice. Ce lieu qui peut paraitre de l’extérieur comme un vulgaire terrain vague sera mon premier et unique contact physique avec la nature, et l’avantage est que j’y suis seule, personne ne vient jamais me déconcentrer.

Cet ancien tennis est surmonté sur le côté gauche d’un escalier amenant à un habitat toujours clos ; il est longé d’un muret étagé qui sert de promontoire pour sauter de là en choisissant les hauteurs selon la hardiesse de chacun. La grande allée du bas de l’immeuble est l’objet de courses folles des enfants rentrant par un bâtiment, puis montant les sept étages jusqu’aux chambres de bonnes, passant d’un bâtiment à l’autre par le couloir du haut qui relie ces chambres, sans aucune discrétion de cette bande d’enfants que nous formons qui crie sa joie de vivre. Nous jouons aussi à sauter les marches en bois par deux, trois, quatre, jusqu’à six, assorti de nos cris de victoires, ou encore, les plus hardis s’assoient sur la rampe en bois et se laissent glisser sur plusieurs étages. Les habitants ne protestent pas, peut-être que le concierge finit par intervenir pour nous calmer. Donc enfant très sage, voire silencieuse à la maison, je deviens tout autre aux pieds des bâtiments de mon immeuble : gaie, joyeuse, criant et courant avec les autres, ma famille ne remarqua jamais ma facette d’extravertie.

Enfant ma mère me surveillait beaucoup et à tout propos

À la maison j’étais pourtant une enfant très sage, calme, secrète, parlant peu. Il faut dire que j’étais entouré des trois autres membres de ma famille, ma mère, ma soeur, mon père, chacun d’infatigables bavards. Ils se coupaient la parole les uns les autres, s’amusant beaucoup, riant sans cesse. Moi je me réfugiais sous la table. J’avais là le lieu qui me protégeait de leur vue, tout en étant proche. Pourquoi ne pas aller simplement dans ma chambre ? sans doute parce que la chambre était commune à moi et ma soeur, ou parce que j’avais envie de rester avec la famille plutôt que réellement seule dans « mon coin ». Cette chambre de filles servit aussi durant la guerre de bureau où mon père travaillait avec un de ses collègues, juif Bulgare, devant une magnifique grande table de chêne clair. Plus tard y fut logé le père de Maurice, qui se levait la nuit pour pisser bruyamment dans un pot de chambre. Un paravent nous isolait, nous les deux filles, mal. C’est sans doute la raison pour laquelle il fut bientôt mis en maison de retraite, où il mourut quand j’avais environ 10 ans. Je me souviendrai toujours du retour exceptionnel à la maison de mon père tôt dans la matinée émettant des cris et des pleurs : « mon père est mort ». C’est la seule fois de ma vie que j’entendis mon père pleurer, depuis ma chambre où j’étais encore couchée, ne comprenant pas d’où venait ces bruits, ces sortes d’éclats de voix de mon père. Ce grand-père m’avait appris à chercher des mots dans le dictionnaire. C’était passionnant. Je gardais cette habitude longtemps, feuilletant les pages sans me lasser pour découvrir tout un tas de définitions, que je cherchais par hasard, ou allant d’un mot à l’autre selon leur citation dans la définition d’un autre mot, c’était sans fin et pouvait durer des heures.

Ma mère surveillait plus particulièrement mon intestin

Peut-être faisait-elle une projection sur moi de son propre intestin car, je l’appris adulte, elle avait ce qu’on appelle un intestin « paresseux ».
Ainsi elle me donnait sans cesse des pruneaux, je les ai pris en dégoût pour le restant de mes jours. Elle me faisait pour ainsi dire la becquée : armée d’une coupe où les pruneaux avaient séjourné dans l’eau, elle me les donnait un à un de sa main, en les piochant au fur et à mesure et surveillait bien que je les mangeais et les avalais. Évidemment que cette surveillance se portait avec insistance sur ce que je produisais aux WC. Peut-être étais-je constipée après tout ? Une enfant de 4 à 12 ans est-elle constipée par nature ? Ne peut-elle le devenir parce que justement une telle attention est attachée à son « rendu » ? Car je me souviens avoir été assise sur ce « trône » immobile ce qui me semblait des heures, la culotte et la jupe tombées à mes pieds les entravant ; elle venait vérifier à chaque instant ce que j’avais « produit » dans la cuvette. Si ce n’était pas suffisant à son goût elle me disait : « encore un peu ». Les WC de l’appartement se trouvaient de plus à l’endroit idéal pour elle : mitoyens de la cuisine, au bout du couloir qui longeait la salle de bains.

J’en fis des cauchemars, enfant, durant des années. Dont bien sûr je ne parlais jamais à personne, de toute façon qu’aurai-je raconté ? Un cauchemar il est entendu que ça n’a ni sens ni raison. Si je l’avais raconté ma famille se serait moquée de moi, tant ma mère que ma soeur, quant à mon père il ne s’occupait jamais de l’éducation des filles, tâche exclusive de la mère. Je mis du temps à identifier ces cauchemars. Ce n’est qu’adulte, durant l’analyse que je fis de 44 à 49 ans, allongée sur le divan, que ces cauchemars revinrent à ma mémoire. Je me rappelais que j’étais dans une sorte de puits et que je tombais en tournant dans un vide sans fin accompagnée d’un tas d’autres « objets » que je n’identifiais pas. Je ne comprenais pas plus pourquoi j’étais ainsi dans ce puits sans fond. Répétant et décrivant les images oralement, allongée là sur le divan qu’enfin je compris de quoi il s’agissait : c’était bien moi, enfant, assise sur les WC, je fantasmais que je tombais dans le trou de la cuvette, accompagnée de mes morceaux d’excréments qui tournaient avec moi dans ce trou sans fond.

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